lundi 24 février 2014

Notes inédites sur Chucho el Roto

 Couverture d'une édition populaire mexicaine des aventures de Chucho el Roto (début des années 1960). En médaillon : Arriaga déguisé en curé, et en bourgeois.
Laurent Zaïche présentait voilà peu sur son blogue (Le Moine Bleu) quelques notes préparatoires (demeurées jusqu'ici inédites) à son avant-propos de notre ouvrage Chucho el Roto, Dandy d'honneur. Comme on le verra, la thématique du masque y est déjà bien présente, ainsi que des réflexions ébauchées sur les rapports ordinaires du crime et de la révolte, qui rappelleront évidemment bien des choses aux lecteurs et lectrices de Dynamite ! de Louis Adamic.

Notes sur Chucho el roto

Barbarie actuelle au Mexique. Ce qui domine, l’opacité. La vérité sera connue plus tard, comme d’habitude. Telle est la logique des grands carnages. En attendant, donc : carnage. Dante. Agrippa d’Aubigné.

Liaisons dialectiques Banditisme-Révolution. Objet d’une importante littérature. Question au fond jamais tranchée. Condamnation à la fois pertinente et insuffisante du Lumpen par Marx, Hobsbawm, Adamic (Dynamite !), etc. Le Crime : « violence obligée des pauvres après la victoire du Capital » (Manchette). Crime : produit de la violence capitaliste et réaction de survie, d’adaptation à ce système, y compris à ses codes, que le Crime ne subvertit pas, mais radicalise, prend en quelque sorte au mot. Assurance de la promotion sociale du criminel que la légalité bourgeoise lui refuse dans les faits. Au mensonge formel capitaliste s’opposent ainsi : dissimulation, clandestinité, secret criminels, lesquels auront tôt fait de tomber sous le coup de la critique cléricale ou moralisante, etc. Fausseté contre fausseté. Statut, cependant, de la fourberie et du mensonge dans la société d’après. Comment revenir sur ces habitudes d’avant ? Est-ce souhaitable ? Ruse recyclable ? Voir là-dessus Chucho. Son intelligence d’adaptation. Question de la possibilité seulement de l’entrée en communisme d’anciens menteurs par nécessité, ayant de fait aimé le mensonge comme leur sécurité. L’ayant aimé au plus intime.

C’est en cela que les habitudes de Chucho sont passionnantes. Chucho se travestit pour commettre ses crimes. Son talent du déguisement : poussé nous dit-on au génie. Pas seulement extérieurement : dans l’emprunt des codes symboliques mêmes de cette bourgeoisie qu’il dépouille, et à laquelle de fait il ressemble furieusement.

Cette bourgeoisie portant le masque de l’humanité légale abstraite se heurte ainsi au bandit dont le propre masque, contrairement à celui de la classe ennemie, dirait plutôt la foncière honnêteté. Le masque du bandit : sa vérité d’homme libre. Sa vérité plastique. Expression spectaculaire de son authentique visage. Cette vérité, parfaitement entendue ailleurs, au plan esthétique, dans d’autres conditions (Goya, Ensor). Elle trouve ici son équivalent politique. Le masqué : à la fois le puissant, l’agent de la justice historique, de la vérité profonde. Opposées au visage dégagé, autrement dissimulateur et fourbe, de la Domination.

Le Masque. Le Mexique s’en est fait une coutume : « lutte libre », etc.
Chucho hier, Marcos aujourd’hui. 
Immortalité du premier.
(Laurent Zaïche, 2011-2012)